Ils ont choisi l’Angleterre

Choisir l’Angleterre…

Délocaliser son siège social en Angleterre pour ne pas payer de charges patronales, tout en maintenant son activité en France. Dans les Côtes-d’Armor, au moins 200 chefs d’entreprise ont fait ce choix. «En toute légalité», assure le promoteur de ce montage juridique.

La crise, Pascal Michel ne la connaît pas. «Mon chiffre d’affaires augmente tous les ans», se réjouit l’ex-poissonnier de Bégard (22), un grand sourire accroché aux lèvres. Il y a dix-huit ans, cet ancien syndicaliste de la confédération de défense des commerçants et artisans (CDCA) a quitté le monde des criées pour devenir le spécialiste breton de la délocalisation d’entreprises vers l’Angleterre. «J’ai créé plus de 2.000 sociétés limited», revendique fièrement le patron de Setti Ltd, dont le siège social est tout naturellement installé outre-manche, à Torquay. «Les Anglais nous déroulent le tapis rouge. Là-bas, tout est facile. En deux jours, la société est créée», observe-t-il, ravi. Les sociétés limited ? La version anglaise de nos SARL. À ceci près que le gérant ne paie pas de cotisations vieillesse et maladie, pas de CSG, ni d’Urssaf. «C’est parfaitement légal. Ce sont les lois françaises et européennes qui le permettent», affirme l’homme d’affaires, qui voit défiler dans ses bureaux de Saint-Agathon (22) et de la Tour Montparnasse des plombiers, des menuisiers, des restaurateurs ou encore des boulangers.

«Des petits patrons qui ont en ras-le-bol de payer des charges sociales en France», précise Pascal Michel. «Ne pas avoir à payer de RSI (régime social des indépendants, NDLR), ça change tout», témoigne ce menuisier trégorrois qui a fait appelle à Setti Ltd. «C’est une vraie bouffée d’oxygène pour les sociétés», estime, de son côté, un spécialiste de l’automobile dinannais. «Moi, je fais ça pour survivre», affirme cet autre Trégorrois qui travaille dans la communication et qui assume parfaitement son choix : «C’est ma tronche d’abord, les autres, je n’en ai rien à foutre. Ce que je veux, c’est gagner ma vie honnêtement». «Ce sont toujours les mêmes qui cotisent. Ceux qui se lèvent tôt le matin», renchérit un quatrième adepte des sociétés limited.

Statut illégal selon l’Urssaf

Combien de petites entreprises costarmoricaines ont fait ce même choix de délocaliser leur siège social, tout en maintenant leur activité en France ? Au moins 200, d’après les chiffres fournis par les chambres consulaires (Pascal Michel estime, lui, qu’il y en a, au moins, le double). Pourtant, dénicher un interlocuteur officiel sur le sujet est pour le moins compliqué. Aux Impôts, à la Chambre de commerce, à la préfecture et à l’ordre régional des experts-comptables, c’est silence radio.

À la chambre des métiers, on indique simplement que le phénomène est «marginal depuis l’apparition du statut d’auto-entrepreneur». Et du côté de l’Upia (le syndicat patronal costarmoricain), le directeur général «tombe des nues» lorsqu’il entend que 200 petits patrons ont choisi de délocaliser leur siège social en Angleterre. Patron de l’Urssaf des Côtes-d’Armor, Guy Mascart est lui aussi surpris. Mais le phénomène ne lui est pas inconnu. «Il y a vingt ans, la CDCA recommandait déjà ce montage. Visiblement, la recette n’a pas été oubliée». Mais pour lui, dès l’instant où l’activité de «ces pseudos entreprises anglaises» se fait en France, leurs patrons se doivent de cotiser… en France. «C’est un faux statut qui n’est pas légal», assure Guy Mascart

À l’encontre de la cohésion sociale

«L’Urssaf voit les choses comme ça, mais c’est un combat», se défend Pascal Michel, dont l’une des «ruses» consiste à proposer à ses visiteurs de devenir gérant minoritaire non rémunéré, puis de percevoir les bénéfices en fin d’année.

Pour ses clients, délocaliser comporte cependant plusieurs inconvénients : les banques sont très réticentes à leur prêter de l’argent et ils ne cotisent ni pour l’assurance-maladie, ni pour la retraite. Ces petits patrons doivent donc se débrouiller autrement. Via des caisses privées ou en investissant dans la pierre. Reste que pour l’économiste Jean Bonnet, maître de conférence à Caen, «les cotisations sociales participent à la cohésion sociale à travers cette fonction de solidarité. Le fait de toujours vouloir profiter, à court terme, des avantages et de reporter plus tard sur le système public les risques va à l’encontre de cette cohésion sociale».

Source : Article du Télégramme du 13 mai 2014

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